L’enlèvement du « bébé Lindbergh » vu dans la presse bretonne

Le 3 mars 1932, un court article publié dans L’Ouest-Eclair annonce que « le fils de Lindbergh a été enlevé »1. Pris au dépourvu, le journal doit se contenter de reproduire in extenso les communiqués américains qui précisent, laconiquement, que « les parents sont priés de remettre à un certain endroit une somme de 50 000 dollars » pour revoir en vie leur bébé âgé 20 mois2. Ce traitement médiatique n’est pas à la hauteur de la popularité du père de l’enfant, Charles Lindbergh, devenu célèbre en 1927 grâce à sa traversée aérienne de l’Atlantique3. Dès le lendemain, le quotidien rennais, comme l’ensemble de ses homologues régionaux et nationaux, se rattrape. L’affaire du « Baby Lindbergh » devient même, pendant plusieurs mois, un véritable feuilleton médiatique.

Cate postale. Collection particulière.

Il faut dire que l’enlisement de l’enquête ouvre la voie à de nombreux fantasmes que les journalistes ne manquent pas de disséquer, faute d’information nouvelle. Et la presse bretonne relaie volontiers les rumeurs les plus folles. Dans son édition du 10 mars, L’Ouest-Eclair évoque ainsi la possible responsabilité de la pègre. Le journal relate le « bruit [qui] court avec persistance » que, depuis la cellule de la prison où il purge une « très longue peine », le « fameux Al-Capone ne serait pas étranger à l’enlèvement » afin d’obtenir sa libération4. Plus loin, le quotidien évoque une autre piste lancée par « certains journaux » selon laquelle le bébé « aurait pu être embarqué sur un paquebot faisant route vers l’Europe »5. La ville de Cherbourg est d’ailleurs citée comme possible port de débarquement même si, sur ce point, le journal rennais avoue qu’il serait « bien surpris » par un tel dénouement6. Enfin, début mai, c’est au tour de Paul Gorgulov d’agiter la chronique médiatique. L’homme qui vient d’assassiner Paul Doumer prétend être lui-même le commanditaire du rapt7.

Bien qu’elle soit partiellement occultée par l’hommage rendu au président de la République lors de ses obsèques, l’annonce de la découverte du corps du « bébé Lindbergh » bouleverse une nouvelle fois la presse bretonne. L’état « de décomposition avancée » du cadavre prouve, si cela était nécessaire, l’ignominie des meurtriers8. Face à cet acte incompréhensible, Le Nouvelliste du Morbihan rassure ses lecteurs sur le fait « [qu’]aucun effort ne sera épargné pour châtier les coupables »9.

Charles A. Lindbergh Jr., fils du célèbre aviateur. Archives Federal Bureau of Investigation.

La brève précision du quotidien lorientais suffit à se rendre compte que le traitement médiatique réservé au « rapt de Hopewell » n’est pas prêt de s’essouffler. Chaque rebondissement de l’enquête est particulièrement scruté. C’est ainsi que le 27 octobre 1932, Le Nouvelliste du Morbihan prend le temps de préciser à ses lecteurs que l’homme arrêté quelques jours plus tôt à Séville est probablement « un imposteur qui cherche, en se chargeant d’un crime resté impuni, à se faire rapatrier aux Etats-Unis »10. L’intérêt des médias bretons ne faiblit pas avec le temps et quelques années plus tard, tant au moment du jugement de Bruno Hauptmann en 1935, que lors de son exécution l’année suivante, l’affaire fait de nouveaux les choux gras de titres en manque de sensationnel11. Quant à Charles Lindbergh, il finira par s’isoler de ce battage médiatique en achetant l’île Illiec dans les Côtes-du-Nord

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Le fils de Lindbergh a été enlevé », L’Ouest-Eclair, 3 mars 1932, p. 1.

2 Ibid.

3 Pour une visions plus globale de la médiatisation de l’enlèvement, voir par exemple PINKER, Roy, Faire sensation. De l’enlèvement du bébé Lindbergh au Barnum médiatique, Marseille, Agone, 2017.

4 En réalité Al Capone, touché par l’évènement, propose son aide aux enquêteurs afin de permettre de retrouver le bébé. « Le retour du baby est-il imminent ? », L’Ouest-Eclair, 10 mars 1932, p. 1.

5 Ibid.

6 Ibid.

7 « Le Russe Gorguloff a été interrogé hier par M. Fougery, juge d’instruction », Le Nouvelliste du Morbihan, 13 mai 1932, p. 1.

8 « Dénouement tragique », L’Ouest-Eclair, 13 mai 1932, p. 5.

9 « Le dénouement tragique », Le Nouvelliste du Morbihan, 14 mai 1932, p. 1.

10 « L’homme arrêté à Séville est-il un imposteur ? », Le Nouvelliste du Morbihan, 27 octobre 1932, p. 2.

11 « L’épilogue de l’affaire Lindbergh », L’Ouest-Eclair, 15 février 1935, p. 1 ; « Bruno Hauptmann a été exécuté », L’Ouest-Eclair, 4 avril 1936, p. 3.